L’Ami public N°1

–    Oh délire ! J’ai une nouvelle demande d’ami !
–    C’est qui ! C’est quiii !?
–    Bah… C’est… Euh… Je ne sais pas. Un certain Léo Taquet…
–    Connais pas. Un copain du lycée ?
–    Attends, je farfouille…
1 697 amis, profil accessible – beaucoup de filles dans ses contacts – peu de photos de lui mais de ce que j’en vois il n’a l’air pas mal – 27 ans, célibataire. Il habite Boursoufle-les-Bains (connais pas)… Il parle français et le Boursouflet (un patois local).  Il fait partie du groupe « Jean Lefèvre est mon père » (il a de l’humour). De ce que je vois c’est un fêtard en tout cas. Et puis regarde ! C’est l’ami des stars ! Il est pote avec David Guetto ! Classe !
–    Méfie-toi quand même, si tu acceptes ce mec, il saura tout de toi et il aura accès à tes photos sur lesquelles tu montres ton boule à la Bourboule…
–    Oh ça va ! Je ne devrais pas tomber sur un psychopote ! Et puis, qu’est-ce que je risque, hein ? Qu’il me « like » ? Qu’il se frotte sur son écran le cas échéant ? Allez, je l’accepte.
–    Euh… T’es sûre ? Vous n’avez aucun pote en commun…
–    Et poke ! T’es mon pote ! Un de plus dans ma cagnotte !


Si d’aventure les aventures vont font peur, les réseaux sociaux sont un bon compromis pour collectionner les amitiés faciles et « désengageantes ». En cas de crise c’est même une aubaine : les bières s’offrent en virtuel, c’est utile en cas de pandémie les kiss s’envoient en l’air et pour dragouiller de la belette bien faite, un poke vite fait bien fait, fait toujours son petit effet… On peut même continuer à mettre le doigt dans son nez en toute impunité.

L’origine du mâle
En amour comme en amitié, l’ami public n°1 a souvent été contraint d’abandonner sa dignité pour un tantinet d’intérêt. Alors, quand Big Brother a donné naissance aux réseaux sociaux, il y a vu une occasion de rédemption, une seconde chance à saisir pour se faire plaisir.

Léo Taquet était un enfant unique à tout point de vue. Comme tous les mono-enfants, il avait développé la faculté de se créer de belles amitiés virtuelles et jouait avec des copains imaginaires avec lesquels il pouvait régner en maître. C’est lui qui commandait et cela lui plaisait.

A la fleur de l’âge (cette expression prend tout son sens à l’adolescence), Léo Taquet a souffert des pires railleries. Surnommé « Texas Instrument » par ses amis, il n’eut de cesse de vouloir se faire accepter des autres et plus particulièrement de Jérôme Nimo la star du collège qui comptait à son actif bon nombre de complices avec lesquels il s’amusait pendant la récré à se tripoter les croûtes en regardant les pages subversives de La Reloute.
Léo Taquet ne parvint jamais à entrer dans le cercle très fermé de cette bande passante…

Des années plus tard, il inaugure son premier ordinateur en s’inscrivant sur Copains d’Antan, un réseau social que Léo fréquentera ardemment pour exorciser son calvaire d’adolescent.

Je vous entends déjà dire « rôôô, même pas vrai… c’est vachement bien Copains d’Antan, j’y ai retrouvé plein de connaissances dont je n’avais même plus conscience ! ». Certes, mais qu’en avez-vous fait ? Hein ? Entre-nous, nous allons sur Copains d’Antan par pure curiosité, mal placée, en espérant que nos bourreaux d’ados soient devenus laids et que leurs réussites sociales puissent être en deçà de propre réussite, normal…

L’association de bienfaiteurs

IRL (In Real Life), Léo Taquet est un garçon-boucher de 37 ans qui vit avec maman à Boursoufle-les-Bains (enfin, pas très loin)…
Léo a quelques amis (plein !) avec lesquels il traîne de temps en temps au PMU pour trinquer à sa santé oubliée. Alcoolique au premier degré, il rêve de déserter sa vie de pochtron-minet alors dès qu’il le peut, il reste connecté.

Les jours passent et Léo rêvasse. Il tombe chaque jour un peu plus dans le vortex numérique laissant de côté son identité pragmatique. Il grandit par écrans interposés, s’exprime au fil du clavier, se meut grâce à son poignet… Petit à petit, il se crée une nouvelle personnalité dans une dualité qui se mesure en giga-octet.

Léo veut être cyber-leader, Léo veut être le David Guetto du reseau mais c’est un gaillard lucide et il sait que s’il ne se prend pas en main, son quart d’heure de gloire se limitera à une photo de la remise du prix annuel du meilleur ouvrier de boudin blanc dans le canard local qu’on trouvera froissé sur un banc.
Déterminé à travestir son identité au plus que parfait, Léo s’inscrit à Fadebook et se crée un nouveau look. Il se crée alors une armure d’avatar, un statut d’icône, bâtissant ainsi au fil du temps son armée de camarades peu regardants.

Que son règne arrive

Un pour tous, tous pourris ! C’est ce que disait toujours le père de Léo Taquet pour remonter le moral des troupes « au taquet ».

Sa « cosa nostra »: un ami à tout prix et un lien hypersexe ne serait pas de refus pourvu qu’elle soit dans son flux… surtout si c’est gratuit (et pour les rencontrer y’a même Aka aki mais ça c’est pas dans sa stratégie). Alors il fouille dans les listings de ses contacts, piste les amis potentiels, traque les profils accessibles et collectionne les corps anonymes pour créer son armée d’âmes désincarnées. Le roi Léo est comme un poisson dans un flot numérique.

En bon leader qui se respecte, Léo capture et captive sa communauté en diffusant des informations sans intérêt histoire de montrer qui est le patron. Pour asseoir sa suprématie, il donne le la en updatant son statut. « Léo tournant», « Léo frais»… plus il a de commentaires, plus il gère l’affaire. Mais si son gang prolifique ne réagit pas, c’est la panique.

L’addiction s’il vous plait

Face à l’inertie de sa communauté, le prophète n’est plus à la fête. Léo perd son sang-froid et si certains de ces alliés le quittent en cours de route, il le vit comme une trahison, un refus de rejoindre son union.
Prisonnier de sa communauté, c’est le déclin programmé « pousse au crime » et Léo se reconfigure sur Twitter pour mieux exposer au plus grand nombre sa déprime en priant pour qu’on en fasse un film…

Nous connaissons tous un Léo Taquet ce collectionneur en quête de popularité.

Pas de rançon demandée, il vous veut tout simplement en trophée quitte à vendre sa vie sur Ebay.

12 Commentaires

  1. Normal que personne ne commente, tes articles laissent sans voix. Continues !

  2. Poing serré et pouce levé!
    😀

  3. Tu es vraiment très douée. Bravo encore pour ce billet !

  4. […] L’ami public n°1 […]

  5. Miss, j’aime beaucoup votre style.
    Obligation donc, de poursuivre l’écriture ! ;o)
    J’attends vos prochains billets dans mon google reader.

    1. Et bien… euh…. Merci à tous pour vos gentils commentaires. Je tiens à remercier mes parents sans lesquels je n’aurais jamais pu voir le jour, je veux aussi remercier le médecin accoucheur de ma mère qui ne m’a pas laissé tomber, je veux aussi remercier mon Mac qui m’a soutenu et le vernis Jemey duvernis qui a résisté au clavier. J’espère n’avoir oublié personne… I love you comme disait Mickael avant de mourir

  6. « Boursoufle-les-Bains » en Haute-Saône?
    Si c’est ça, je crois que je le connais.
    C’est le cousin de Gégé Latrique.

  7. C’est un peu le syndrome de l’ami « gale » – une affection contagieuse appelée à régner sur la toile. Et pour t’en débarrasser, tu peux te gratter !

    Au fait, j’aime bien. Tu veux être mon amie ?

  8. Il pratique pas le tricot Léo par hasard ?
    si oui, je peux l’ajouter à mes ami(e)s
    sur Facebook ou Twitter etc…
    si non, je peux lui apprendre…à tricoter une écharpe…
    bisous bisous

  9. Tout ceci sonne affreusement juste et authentique.

    Tous à vos vitrines sociales! C’est beau la fierté de l’opulence des faux-amis et du partage de sa vie palpitante : Statut de X : « parti faire caca, cinquième fois aujourd’hui! »

  10. Léo Taquet ? Pourvu que je ne Lé pas Otaquet :o/

    Splendide billet… Ras… Je me déconnecte du réseau maintenant afin de couper court aux assaut de Léo car si Léo, c’est qu’il lé pas en bas et donc pas de bas, pas de chocolat et j’en passe… Bon… Clic… J’ai plus de porteuse…

    Have a good day

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