Mère Déni

Finie la joie des repas dominicaux qui se concluent par « je te laisse laver mon linge, je file trafiquer le carbu de la moto chez les potos ». Bien qu’intimement convaincu que maman éprouvait à vie le besoin maternel de torcher un propre à rien, vous venez de réaliser qu’elle vient de se shooter dans votre baluchon de fringues crasseuses que vous avez largué au pied de l’escalier. C’est la fin, c’est l’overdose. Ses yeux sont révulsés par LA férocité, cette même dureté que vous aviez décelée la fois où elle avait explosé à coup de pioche votre CD de Black Metal satanique Norvégien, Gorgoroth votre préféré.

Et dire que vous pensiez qu’en vous délestant affectueusement de la contrainte des tâches ménagères qui vous lessivent vous préserviez l’éclat de votre amour envers votre mère et que celle-ci vous en serait reconnaissante à vie. C’est la douche froide, elle vous passe un savon et elle s’en lave les mains. Et oui, laver son linge sale en famille laisse parfois quelques traces.

« Finito ! Ici c’est pô un resto ! Ton baluchon de caleçons d’ado, j’en ai plein le dos !»

Tambour battant , votre mère vient de vous jeter avec l’eau du bain et a achevé de couper votre cordon à la scie circulaire. Il faut dire que vous avez 35 ans, un studio et 3 fois son salaire.

En plein deuil de la dislocation œdipienne qui perturbe votre moi profond, la tache vous colle désormais à la peau. Malheureusement, l’Homme moderne (et dans Homme avec un H majuscule, il y femme, voire l’inverse) n’a pas toujours la chance d’avoir un appartement suffisamment grand pour accueillir la précieuse « machine à laver ». A part maman à 200 kms… C’est dans ce genre de cas que l’on constate qu’il est difficile de garder un amour propre quand on est dans de sales draps.
Après avoir tenté la lessive bio qui consiste à attendre plusieurs semaines que la saleté se désagrège d’elle-même, il faut se rendre à l’évidence c’est-à-dire au Lavomatic.

Roulement de tambours, c’est le grand jour. Comme tous les samedis matin, le Lavomatic est le no man’s land où se mélangent les torchons et les serviettes.
Le samedi matin est le seul jour potable. De toute façon, la session Lavomatic tombera toujours le jour où on a des trucs à faire. Mais comme dit l’adage : vêtements qui fouettent, dégaine le vinaigre.

12 personnes s’affairent devant chaque machine enfournant ou exhumant des tonnes de linge souillé ou nettoyé. C’est du propre! Personne ne se dit bonjour ! Le linge sale met des barrières.

La première étape consiste à repérer la personne la moins douteuse, celle à qui nous allons emprunter l’engin sans courir le risque de repartir avec une teigne. C’est le syndrome de la chaussette de « l’autre », celle qui reste tapie au fond du tambour et dont la seule présence peut contaminer vos 4 kg de fringues immaculées.

Choisir sa machine à laver c’est comme choisit son bandit manchot au Casino. Elle doit nous porter chance.

C’est à votre tour. Vous êtes venu équipé de votre sac de sport toxique (le même que vous rameniez chez vos parents) ainsi que tout l’attirail lessivier (en cas d’oubli, vous devrez payer 3€ pour un godet de poudre à récurer, à condition d’avoir de la monnaie).

Super concentré, petit et puissant avec votre détergent, vous lorgnez sur la machine d’à côté pour voir comment il /elle fait. Si vous vous faites repérer, vous faites mine de vous mêler de vos affaires. Demander de l’aide c’est s’humilier.
Blanc sur rouge rien ne bouge. Que celui qui n’a jamais tenté ce vieux mécanisme de soiffard et ressorti des T-shirts Iron Maiden rose barbapapa me jette la première bière.
Si on n’a pas inventé la poudre :
• La petite fleur c’est là où ça sent bon => adoucissant
• Le petit pot avec des petits points => lessive
• Le petit triangle effrayant avec CL dans => on s’en fout, c’est flippant

Silence. Ca tourne.

Pendant ce temps, on observe le ballet incessant des Mères Denis tensio-actives en puissance qui maîtrisent leur sujet. Pendant ce temps : on attend. Longtemps.

La machine est terminée. Vous constatez avec effroi que les résultats impeccables même à froid c’est de la connerie et que vos pulls ont rétréci.

Rincé, lessivé, on se prend à rêver de ne plus être « multi-tâches » pour laver durablement son honneur et sa réputation et comprenant enfin le coup de Calgon de maman qui a mouillé sa chemise pour vous, tambour battant.

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2 Commentaires

  1. Trop mignon 😉

  2. Il paraît que toutes les bonnes choses ont une fin 🙁

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