– Bonsoir
– Un Couca Laïte s’il vous plait
– Avec une paille ?
– Non ça fait roter
– Des glaçons ?
– Il fait -2°C, il y a ce qu’il faut dehors.
– Et avec ça ?
– Bah c’est tout. Ah si tiens ! Une rondelle de citron c’est bien.
– Hum.
– Quoi ?
– Y’a un supplément.
– Hein ? Un supplément de quoi ?
– Pour la rondelle, c’est 1€
– 1 € pour faire péter la rondelle ! Eh beh vous ne vous emmerdez pas ! Vous les faites pousser vous-mêmes les citrons ou quoi ?
– 4,50 s’il vous plait
– Ah bah pour ce prix-là, j’emménage dans ce bar jusqu’à ce soir.
Stage d’immersion. 19h24.
Seule dans un bar, mon ordi comme copain de comptoir. Pas même une touche à part celles qui défilent sous mes doigts.
4 piliers de bar sont accrochés au zinc (et vice et versa encore un p’tit canon pas plus haut que le bord). A vue de nez, il est déjà 23h48 pour ceux qui se prennent une cuite. Plus imbibés qu’une Scotch Brite ils pourraient probablement, à eux 4, éponger les dettes de l’Etat.
A ma droite, un russe hurle dans son téléphone. Je pense que son interlocuteur a perdu l’ouïe en Sibérie.
A ma gauche une femme seule comme moi semble attendre quelqu’un à en croire les rotations de sa tête. Je chronomètre. Toutes les 5 minutes,, elle feint l’arrivée de celui qui se fait attendre avec pour seul objet, d’éviter de se faire accoster par les pochetrons-minets qui ont jeté leur dévolu sur son décolleté. Elle pourrait presque être comédienne, si ce n’est que c’est un tantinet surjoué.
Moi je m’en fous, depuis quelques minutes je ne fais que taper sur mon clavier en priant que j’aie assez d’autonomie pour finir ce billet.
Au fond de la salle, 2 ados qui se sont probablement donné un rendez-vous secret à la sortie du lycée. 3 heures de squattage pour 1 coca light et une pression, le rendez-vous galopin est rentabilisé. La soupe de langues a pris le relais. Ca me fait penser que je n’ai toujours pas mangé et que je suis en train de m’auto-digérer.
Vient de rentrer un homme, costume 3 pièces, plutôt bien de loin mais loin d’être bien. Il vient s’en jeter un derrière la cravate pour avoir la force de rentrer et supporter l’interrogatoire que lui prépare sa dulcinée. Il a certainement encore oublié de déposer le chèque pour la cantine du petit dernier.
Derrière le comptoir, le patron du bar éponge les récits, blasé par la mauvaise musique qu’il doit diffuser et probablement saoulé de devoir écouter les soiffards, espérant que ces derniers se mettront au couvert.
Je lève les yeux 2 secondes, histoire de faire un beau panoramique de cette scène comico-pathétique.
Mes yeux s’arrêtent sur cette fille juste en face de moi, au fond de la salle. Elle me regarde d’un air bizarre, semble préparer un mauvais coup, je ne la sens pas du tout.
Je ne distingue pas son visage (j’ai encore fait l’impasse sur l’ophtalmo, c’est ballot).
Je tente le tout pour le tout, je plie l’ordi, je me lève, je bouscule, ils ne bronchent pas comme d’habitude… Je fonce d’un pas décidé, remontée comme un coucou suisse et je me glisse entre les tables en direction de ma cible.
J’arrive au fond de la salle… miroir incassable, cette fille est mon portrait cloné. Je me retrouve face à moi-même, à me provoquer dans ce miroir déformé, je me fais pitié.
J’ose un pas de côté, je me jette dans les WC (et dieu sait que c’est compliqué).
Gardons la tête haute, c’est celle qui le dit qui y est.